Le Berry romantique

J'aime Franz, c'est une partie de mon propre sang.

- George Sand

Par Jean-Yves Clément

Liszt et George Sand

L’œuvre de certains artistes, c’est leur vie. Inséparablement identifiés l’un à l’autre, ils sont semblables à ces divinités de la fable, dont l’existence était enchaînée à celle d’un arbre des forêts, écrit Liszt dans la deuxième de ses Lettres d’un bachelier es musique, adressée à George Sand.

Cette définition pourrait s’appliquer indifféremment aux deux créateurs-amis. Liszt est présenté à George Sand par Alfred de Musset fin 1834, alors que le compositeur vit le début de sa passion amoureuse avec Marie d’Agoult. Le couple viendra deux fois à Nohant, en 1837, peu de temps après la première rencontre de George Sand et Chopin, l’année précédente ; rencontre organisée à l’initiative de Franz et Marie (Chopin dédiera à chacun les recueils de ses Etudes). L’amitié, voire la passion que Sand témoigne à l’égard du musicien s’étioleront avec le temps, au fur et à mesure de la dégradation de ses relations avec la maîtresse de Liszt, au caractère difficile, et dont les qualités d’écrivain estimable ne pourront rivaliser à son grand dam avec celles de son amie et modèle un temps. « La gloire de George Sand a coûté bien des larmes à Mme d’Agoult », confessera Liszt…

Liszt et George Sand – Caricature de Maurice Sand

Humanisme en partage

Liszt et Sand partagent en commun l’humanisme social et religieux prôné par Félicité de Lammenais, écrivain, prêtre et philosophe d’une grande influence ; autant de valeurs de fraternité qui s’incarneront dans leurs oeuvres. Pour les deux amis, qui se dédieront mutuellement des textes importants et partageront en commun nombre d’idées (ainsi Sand écrira à Liszt « Oui, la musique, c’est la prière, c’est la foi, c’est l’amitié, c’est l’association par excellence… »), l’art n’est qu’un moyen, certes privilégié, d’aller vers Dieu comme vers les hommes.
Au-delà d’un vibrant amour de la nature, en vigueur chez les artistes du temps, un même panthéisme parcourt l’oeuvre des deux créateurs, tel qu’il s’affirmera en particulier dans les trois livres des Années de Pèlerinage de Liszt ; des Années qui constituent également un livre de voyages auquel George Sand sera associée concrètement au début de l’escapade en Suisse de Franz et Marie.

Si, au mois d’août, vous étiez encore à Nohant, nous pourrions réaliser notre ancien projet de festival à Châteauroux.

- Franz Liszt à George Sand

Liszt à Nohant

Manuscrit autographe de Franz Liszt – Lettre à George Sand, 30 mai 1844

 

Je suis allé chercher un abri dans le coin le plus reculé du Berry, cette prosaïque province, si divinement poétisée par George Sand. Là, sous le toit de notre illustre amie, j’ai vécu trois mois d’une vie pleine et sentie, dont j’ai pieusement recueilli toutes les heures dans ma mémoire. Franz Liszt

Lors de ses séjours à Nohant, Liszt transcrira deux compositeurs essentiels pour lui et son œuvre, Beethoven et Schubert. Beethoven d’abord, son dieu en musique (« Pour nous, musiciens, l’œuvre de Beethoven est semblable à la colonne de nuée et de feu qui conduisit les Israélites à travers le désert, colonne de nuée pour nous conduire le jour, colonne de feu pour nous éclairer la nuit, afin que nous marchions jour et nuit. »). Deux de ses symphonies, les célèbres 5ème et 6ème, dite « Pastorale », seront transcrites à Nohant, devenant de véritables « partitions pour piano » à part entière selon la dénomination de Liszt lui-même, saisissantes « radiographies » pianistiques des chefs-d’œuvre du titan de Bonn. Une Symphonie « Pastorale » au sujet de laquelle Sand écrira un texte fantasmagorique très étonnant dans ses Sketches and hints.
Schubert est pour Liszt une sorte de frère en musique (« Ô génie éternellement jaillissant, génie plein d’amour ! Ô cher héros du ciel de ma jeunesse ! »). Liszt transcrira près de 60 de ses lieder, dont quelques-uns à Nohant, comme le célèbre Erlkönig (Le Roi des aulnes) d’après Goethe, que Sand évoque directement et de très poétique façon dans ses Entretiens journaliers.
Autant de preuves de l’affinité élective si profonde qui exista entre ces deux figures d’exception du romantisme rayonnant et qui trouva son accomplissement dans le sol du Berry de George Sand.